Propos de Robert Lyman ©2017
Introduction
Une grande partie de la controverse au Canada concernant les problèmes liés au changement climatique se déroule dans un cadre très général. Le public débat d’abord si l’on devrait croire les scientifiques et les modélisateurs qui prédisent un réchauffement climatique catastrophique, et deuxièmement, en quoi cela implique-t-il les mesures de réduction des émissions, le cas échéant, que nous devrions prendre au Canada. Le débat s’anime toujours sur ces deux questions. Nous pourrions avoir d’autres idées en se demandant: “Et si?” Que faire si, par exemple, les Canadiens dans chaque province essayaient réellement d’atteindre les objectifs officiels de réduction des émissions de gaz à effet de serre déjà fixés par les gouvernements?
Le but de cette note est d’explorer les implications possibles si les résidents du Québec devraient effectivement atteindre les objectifs qui leur ont été fixés par les gouvernements fédéral et provincial au cours des trente-trois prochaines années (c.-à-d. en 2050) et au-delà. Une analyse approfondie de cela nécessiterait l’utilisation de modèles économétriques élaborés et d’une quantité énorme de données, ce qui me manque. Les commentaires qui suivent devraient donc être considérés comme une tentative de présenter des informations qualitatives sur l’analyse qui doit être effectuée et sur les choix à venir.
Les Cibles
Le gouvernement du Canada s’est formellement engagé envers les Nations Unies à réduire les émissions de gaz à effet de serre des niveaux actuels (722 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone en 2015) à 622 mégatonnes en 2020 et 525 mégatonnes en 2030. En 2008, l’ancien Premier ministre Stephen Harper s’était engagé politiquement à ce que le Canada réduise ses émissions de 50% ou plus par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2050. Cela signifierait une réduction a 369 mégatonnes.
Le gouvernement du Québec s’est engagé politiquement à réduire les émissions provincial de gaz à effet de serre à 20% de moins qu’aux niveaux de 1990 d’ici 2020. Comme les émissions du Québec en 1990 étaient de 90 mégatonnes, cela implique une cible 2020 de 72 mégatonnes. Le Québec s’est également engagé à réduire les émissions de 80 à 95% par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2050. Cela implique que les niveaux d’émissions de la province se situent entre 4,5 et 18 mégatonnes d’ici le milieu du siècle.
Ni les engagements fédéraux ni provinciaux ne comportent de condition relative aux augmentations futures de la population ou de l’activité économique. Les objectifs sont basés sur l’espoir que, on ne peut que le supposer, des réductions d’émissions peuvent être réalisées à des niveaux qui compenseraient la croissance économique et démographique et, en outre, réduiraient considérablement l’intensité des émissions de l’économie.
Il n’y a pas non plus de connexion officielle entre les objectifs articulés par les deux niveaux de gouvernement. De toute évidence, par exemple, l’objectif 2050 du Québec dépasse de loin ce qui serait requis pour la province si les mesures de réduction des émissions envisagées pour atteindre l’objectif fédéral devaient être appliquées proportionnellement dans toutes les provinces et tous les territoires.
La Situation Actuelle
Les données les plus récentes sur les émissions de gaz à effet de serre au Québec sont de 2015. Selon Environnement Canada, le Québec a émis 80,1 mégatonnes cette année, soit 11,4%du total pour le Canada.
Le tableau 1 montre la répartition des émissions.
Émissions de gaz à effet de serre au Québec par source en 2015 | |
Source | Pourcentage |
Transport | 42 |
Combustion fixe | 29 |
Production industrielle | 13 |
Agriculture | 10 |
Déchets | 6 |
Source: Environment et Changement Climatique Canada Rapport d’inventaire national 2015
Les émissions du Québec sont demeurées pratiquement inchangées de 1990 à 2006. Après le déclenchement de la crise financière mondiale, elles ont diminué de façon constante jusqu’en 2011, ont augmenté brièvement en 2012 et ont ensuite diminué à nouveau en 2015. Toutes choses égales par ailleurs, elles semblent être en bonne voie d’atteindre l’objectif 2020 de 72 mégatonnes. Cependant, il convient de prendre en compte certains des facteurs contextuels qui pourraient affecter cela.
Le taux de croissance économique et démographique du Québec a été en retard sur la moyenne canadienne depuis 1981. De 2011 à 2016, selon Statistique Canada, la population québécoise a augmenté de 3,3%, comparativement à 5,0% pour l’ensemble du Canada. Selon l’Institut des statistiques du Québec, la croissance réelle du PIB du Québec est passée de près de 3% en 2010 à 1% de 2013 à 2015. Ces faibles taux de croissance de la population et des revenus ont facilité la réduction des émissions. Cependant, depuis la fin de 2015, le PIB provincial a augmenté de plus de 2% par an. Si le Québec peut continuer ou augmenter ce rythme de croissance économique, les émissions pourraient dépasser les prévisions.
Les Implications Possibles des Cibles de 2050
La structure de l’économie énergétique québécoise varie de celle d’autres provinces canadiennes à deux égards importants. Le premier est que, contrairement à la plupart des autres provinces, l’économie québécoise ne dépend pas largement sur l’extraction de ressources sous forme de développement d’hydrocarbures ou d’exploitation minière, bien qu’il y ait des mines importantes dans la province. C’est avant tout une économie de services. Deuxièmement, le Québec a l’avantage d’avoir accès à de grandes ressources hydroélectriques déjà développées, ce qui a permis à la province de posséder un système de production d’électricité avec de très faibles émissions de gaz à effet de serre. Sur la base démographique, le Québec est l’une des juridictions d’émissions de gaz à effet de serre les plus faibles au monde.
Cela signifie que les options disponibles pour que le Québec réalise des réductions significatives d’émissions à faible coût sont beaucoup plus limitées que dans le cas d’autres provinces, et surtout des principaux producteurs et utilisateurs d’hydrocarbures. Par exemple, alors que les émissions liées aux transports représentent moins de 25% du total dans les provinces de l’Ouest et dans l’ensemble du Canada, à 42% au Québec elles constituent la part la plus importante. Les émissions des grandes sources fixes et des industries à forte intensité d’émissions combinées constituent 41% des émissions du Québec. Si les objectifs du Québec doivent être respectés, les coupures doivent être réalisées dans ces deux domaines.
Ceci ne sera pas facile.
L’industrie des Transports
Réduire les émissions dans les transports est beaucoup plus complexe que le grand public ne le croie. La complexité résulte des différences entre les modes de transport de surface, maritime et aérienne et des nombreuses façons dont les émissions peuvent être affectées. Il s’agit notamment de l’amélioration efficace des technologies existantes des véhicules, du développement et de la pénétration du marché des nouvelles technologies, de l’évolution du comportement des opérateurs de véhicules, des déplacements intermodaux et de l’utilisation de carburants de remplacement. Les publications spécialisées et les médias sont plein d’attentes positives quant au potentiel de réduction des émissions des nouvelles technologies, mais bon nombre de ces technologies n’ont pas encore été développées et peuvent ne pas être développées avant plusieurs décennies.
La plupart des émissions liées aux transports proviennent de véhicules de surface. Environ la moitié provient de voitures et de camions légers (VUS), un quart des camions commerciaux, 10% des avions, 4% du rail et le reste des autobus, des motocyclettes et des véhicules tout terrain, y compris ceux utilisés pour l’agriculture et la construction.
Les tendances récentes et à court terme des émissions des véhicules privés sont presque entièrement dues aux effets de la réglementation. En octobre 2010, Environnement Canada a émis le Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des véhicules légers et des camions légers, qui prescrivait des normes d’émissions plus rigoureuses pour les véhicules neufs dans les années modèles de 2011 à 2016. En 2014, Environnement Canada a adopté des normes plus strictes pour les années modèles de 2017 à 2025. Dans les deux phases de la réglementation des véhicules légers, l’efficacité énergétique des nouvelles voitures augmentera de 41% et l’efficacité énergétique des nouveaux camions légers passagers augmentera de 37%. En outre, les nouvelles normes d’émissions pour les véhicules lourds (bus et camions) devraient réduire les émissions du Canada d’environ 2 mégatonnes d’ici 2020.
Ces réductions d’émissions reviendront à un coût élevé pour les fabricants de véhicules, un coût qui sera passé aux consommateurs par le prix des véhicules. L’industrie automobile affirme que, après plus de 30 ans de réglementation de plus en plus stricte, elle atteint les limites de la technologie actuelle. Certes, il existe moins de choix de véhicules offerts aux consommateurs en raison de la réglementation. Le Québec peut faire peu seul pour changer l’efficacité énergétique et les émissions des véhicules nord-américains au-delà de ce qui est convenu conjointement par les gouvernements des États-Unis et du Canada.
L’augmentation des taxes sur l’essence rendra la conduite plus coûteuse pour les propriétaires de voitures, mais l’expérience en Europe a montré que même des prix très élevés ne réduiront pas beaucoup l’utilisation du carburant. En Norvège, par exemple, les prix de l’essence étaient de 2,46 $ (canadiens) par litre au premier trimestre de 2017, le plus élevé en Europe, et la demande d’essence continue d’augmenter chaque année. Nous aurions besoin d’une taxe sur le carbone de 600 $ la tonne pour augmenter les prix canadiens moyens à ce niveau.
carburants sera d’augmenter l’efficacité énergétique et de réduire les émissions par véhicule, mais à ce jour, le nombre croissant de voitures en circulation laissera probablement des émissions stables ou très légèrement en déclin. Il est extrêmement improbable que la réglementation et les taxes obligent les consommateurs à abandonner complètement leurs voitures, comme cela serait requis par une réduction des émissions de 80 à 95%.
Qu’en est-il des véhicules électriques? Les véhicules électriques sont les bénéficiaires de subventions gouvernementales importantes, situation hyper médiatisée. Cependant, un rapport de 2010 de J.D. Power and Associates qui présente une vision pessimiste des perspectives du marché des véhicules électriques s’est révélée prophétique. L’étude a conclu que les ventes mondiales combinées d’hybrides et de véhicules intégrés tout-électrique pourraient totaliser 5,2 millions d’unités en 2020, soit seulement 7,3% des 70,9 millions de véhicules passagers vendus dans le monde cette année-là. À la fin de 2016, les ventes mondiales dépassaient les 2 millions de véhicules, bien au dessous de l’estimation de J.D. Power pour 2020. Ceci est aussi bien inférieur aux chiffres prévus par l’ancienne administration Obama aux États-Unis et celle d’Angela Merkel en Allemagne. Les véhicules électriques représentent moins de 1% des ventes de véhicules neufs au Canada. Alors que les ventes augmentent chaque année, il est peu probable qu’ils constituent une partie importante du parc automobile total pendant au moins 20 ans et peut-être beaucoup plus longtemps.
John Lawson, l’un des principaux économistes des transports du Canada, a étudié le potentiel de réduction des émissions grâce au transfert modal (par exemple, encourager les passagers ou les déménageurs de marchandises à passer des modes de transport à émissions élevées aux modes d’émissions inférieures). Les résultats peuvent être surprenants.
- Le doublement des déplacements en transport ferroviaire interurbain augmenterait légèrement les émissions, en raison des faibles taux d’occupation des trains.
- Doubler les déplacements en bus interurbain réduirait les émissions, mais seulement d’une demi-mégatonne à 2020, car la circulation est si limitée.
- Doublet les déplacements urbains en transport en commun par transit (un objectif très ambitieux) n’augmenterait que 2,53 mégatonnes dans tout le Canada d’ici 2020.
Les gouvernements municipaux ont déjà du mal à s’occuper des dépenses capitales des transports qu’ils jugent nécessaires pour atténuer les embouteillages, et ne disposent guère de fonds pour doubler la capacité des systèmes existants.
Il existe des perspectives encore plus limitées pour obtenir des réductions massives du transport de marchandises par des déplacements intermodaux. Les camions sont la source en croissance plus rapide d’émissions de gaz à effet de serre dans les transports. Le déplacement de 10% du frêt des camions vers le rail est considéré comme un objectif important, car les entreprises préfèrent les camions pour leur flexibilité. Contrairement au rail, les camions peuvent ramasser et livrer du frêt à de nombreuses destinations. Si un changement de 10% des grands camions pouvait être réalisé, cela réduirait les émissions dans tout le Canada de seulement 0,42 mégatonnes en 2020.
Les écologistes se sont réjouis qu’un avion tout-électrique à deux places a remporté une course en Europe, battant des modèles conventionnels à pistons, ainsi qu’un avion propulsé au solaire qui a volé dans le monde entier. La couverture médiatique qui s’en ait suivi a rarement mentionné que, dans les deux cas, la majeure partie du poids de l’avion était la batterie, et qu’il a fallu à l’avion solaire un peu plus d’un an pour effectuer le voyage en raison de problèmes de batteries. Il existe plusieurs façons d’améliorer l’économie de carburant des avions commerciaux et ceux-ci sont maintenant développés par l’industrie de l’aviation civile internationale. L’idée que les avions commerciaux long courrier pourraient être alimentés par des batteries relève plutôt de Jules Verne qu’une planification sérieuse de l’aviation. La seule façon de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre provenant des vols commerciaux et des avions de frêt est de restreindre, voire de rationner, leur utilisation. Le Parti Vert canadien a effectivement proposé cela dans une version antérieure de sa plate-forme avant les élections fédérales de 2015, mais l’a abandonné de la version finale. Les vols commerciaux sévèrement limitatifs au Québec pour atteindre l’objectif de 2050, bien sûr, auraient le double avantage de réduire considérablement les émissions dans les industries de l’hôtellerie et du restaurant.
Sources de Combustion Fixes et Industries à Forte Intensité d’Émission
Ces secteurs de l’économie comprennent une grande partie des usines industrielles qui consomment de grandes quantités de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Dans l’ensemble du Canada, les entreprises sont pour la plupart des industries liées à la fabrication de minéraux et de métaux, à la pétrochimie, à l’industrie automobile et à la fabrication de camions, ainsi que des industries du fer, d’acier, du ciment et des pâtes et papiers, entre autres. Entre 2005 et 2012, les émissions dans ces secteurs ont diminué, en partie en raison des effets de la récession économique.
Comme dans d’autres secteurs, il existe des possibilités d’améliorer l’efficacité énergétique et de réduire ainsi les émissions de gaz à effet de serre dans les industries à forte intensité d’émissions du Québec.
Cependant, réduire les émissions totales à une fourchette de 4,5 à 18 mégatonnes réduirait les émissions par habitant du Québec à un niveau similaire à celui de la Somalie aujourd’hui. Sans mesures radicales, il n’y a guère de moyens de transformer l’économie provinciale en 33 ans, voire en 60 ans.
Environnement et Changement Climatique Canada publie le nom des grandes installations au Canada incluses dans la catégorie des opérations à forte intensité d’émissions. Il y en a près de 80 au Québec, dont les suivantes sont les dix plus importants. Les émissions annuelles sont en milliers de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (kt CO2e).
Établissement | Ville | Émissions annuelles |
Raffinerie Valero | Levis | 1414 |
Raffinerie Suncor | Montréal | 1202 |
Aluminerie Alouette | Sept-Iles | 1128 |
Usine de Bouletage | Port-Cartier | 979 |
Rio Tinto Fer et Titane | Sorel-Tracy | 907 |
Usine Arvida | Saguenay | 848 |
Usine Alma | Alma | 842 |
Cimenteries de Saint-Constant | Saint-Constant | 818 |
Aluminerie de Becancour | Becancour | 814 |
ArcelorMittal | Contrecoeur | 752 |
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la fermeture de ces usines pour atteindre l’objectif de réduction des émissions aurait des implications régionales importantes au Québec.
Conclusion
Le Québec atteindra probablement son objectif de réduction des émissions 2020. À mesure que des objectifs de plus en plus exigeants seront fixés, ils seront beaucoup plus difficiles à atteindre. En effet, il n’est pas clair qu’un tel ensemble de mesures politiques pourraient être mises en œuvre pour atteindre l’objectif 2050.
L’instrument de politique le plus complet serait une taxe sur le carbone neutre en termes de revenus. Toutefois, le régime fiscal actuellement appliqué par le gouvernement fédéral n’augmenterait que les taxes sur le carbone à 50 $ la tonne (équivalent à 11,5 cents le litre d’essence) d’ici 2022. L’ancienne table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, dans un rapport de 2012, a estimé qu’une taxe sur le carbone d’au moins 300 $ par tonne (équivalant à 1,30 $ par litre d’essence) serait nécessaire pour atteindre un objectif de 2050 d’une réduction de 50% des émissions canadiennes de gaz à effet de serre. L’objectif plus ambitieux du Québec d’une réduction de 80 à 95% nécessiterait probablement une taxe beaucoup plus élevée. L’acceptabilité politique des taxes sur le carbone pourrait bien dépendre de leur reconversion intégrale dans l’économie grâce à des réductions d’autres taxes généralement appliquées. Les politiciens québécois, comme ceux des autres provinces, semblent très peu enclins à laisser passer l’opportunité de générer un revenu exceptionnel sur un large éventail de projets et de groupes favorisés. De cette façon ou d’une autre, le jeu politique risque de compromettre l’objectif de 2050.
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